L’Impitoyable Ming
Assis là, sur mon banc, pendant que les Etats-Unis entamaient leur guerre contre le Japon, l’Allemagne et l’Italie, j’ai décidé de donner à ma prochaine aventure de privé à Babylone la forme d’un feuilleton divisé en quinze épisodes.
Le héros, bien sûr, ce serait moi, et l’héroïne Nana-Dirat, ma fidèle et aimante secrétaire. J’ai décidé d’emprunter l’impitoyable Ming à Flash Gordon pour jouer le rôle du méchant.
Il fallait que je lui donne un autre nom et que je modifie légèrement sa personnalité en fonction de mes besoins. Rien de bien difficile à ça. A dire vrai, ce serait un plaisir extraordinaire. J’avais ces huit dernières années passé très agréablement une partie de mon temps à inventer des situations et des personnages pour Babylone, de façon malheureusement dommageable au déroulement de ma véritable existence, déjà pas très brillante.
Je préfère de loin me trouver dans l’antique Babylone, plutôt qu’au XXe siècle à essayer de rassembler vingt-cinq cents pour me payer un hamburger. Et puis j’aime Nana-Dirat plus que toutes les femmes que j’ai pu connaître en chair et en os.
D’abord, que faire de l’impitoyable Ming ? Lui donner un autre nom. C’était la première chose à faire.
Dans mon feuilleton, il allait devenir le Dr Abdul Forsythe, connu de tous pour être l’un des hommes les plus aimables et les plus généreux de Babylone, mais qui avait installé en secret un laboratoire sous la clinique où il dispensait aux pauvres des soins médicaux gratuits. Dans ce laboratoire, il mettait au point un puissant rayon maléfique avec lequel il allait conquérir le monde.
Ce rayon changeait les gens en ombres-robots totalement soumises à la volonté du Dr Forsythe et destinées, le moment venu, à accomplir sa sale besogne au moindre signe de sa part.
Son projet consistait à produire de la nuit artificielle en réunissant toutes ses ombres-robots ; pendant la vraie nuit, cette nuit-là se déplacerait de ville en ville pour soumettre les citoyens qui ne s’y attendaient pas et les transformer à leur tour en ombres-robots.
C’était un plan ingénieux et il avait déjà réussi à transformer en ombres-robots des milliers de nécessiteux innocents et sans défense venus à la clinique solliciter une assistance médicale gratuite.
Ils venaient chercher secours auprès du Dr Forsythe, puis ils disparaissaient de la surface de la terre. Comme ils étaient pauvres, c’est à peine si l’on remarquait leur absence à Babylone. Parfois, des parents ou des amis passaient à la clinique pour essayer de découvrir la raison de leur disparition. Souvent, eux aussi disparaissaient.
Ah, le monstre !
Il ne lui manquait plus qu’un seul ingrédient pour pouvoir mettre son projet en œuvre. Après les avoir transformés en ombres-robots, il les empilait comme de vieux journaux dans un entrepôt clandestin tout proche, en attendant le jour où il pourrait les lâcher sur le monde sous forme de nuit artificielle.